Après des débuts de
comédienne, Marion Sarraut se retrouve, à
seulement 33 ans, réalisatrice de télévision
pour les émissions de variétés de Maritie et
Gilbert Carpentier. Elle tourne ensuite de
grandes sagas historiques puis réalise des
séries (dont Julie Lescaut, Les Cordier, Une
femme d'honneur, Famille d'accueil...), et
une quarantaine de téléfilms. Elle met en
scène plusieurs pièces de théâtre avec
Philippe Lellouche, Corinne Touzet, Smaïn,
entre autres.
Confrontée très jeune à la
difficulté d'être une femme dans un milieu
dominé par les hommes, elle en a tiré un
féminisme et une féminité indissociables
qu'elle brandit aujourd'hui, à 73 ans, comme
un étendard fédérateur : « Femmes n'ayez pas
peur d'être ce que vous êtes ».
Entretien sans concession
avec une femme exceptionnelle.
-Comment
devient-on réalisatrice de télévision à 33
ans ?
- Je me suis rapidement
rendue compte que le métier de comédienne
n'était pas fait pour moi. Un de mes
professeurs d'art dramatique m'avait
prévenue : « Avec ton caractère, ton
tempérament, tu ne supporteras pas
d'attendre que le téléphone sonne ». Ce qui
est malheureusement le cas pour 70% des
acteurs, et surtout des actrices.
Je me suis donc tournée vers
des stages de script, monteuse, assistante
et suis entrée à la télévision. Lorsque
Maritie et Gilbert Carpentier m'ont proposé
de réaliser leurs émissions, j'ai dit oui
tout de suite. Je ne réfléchis jamais : je
prends des décisions sans me demander si je
suis capable de faire ou pas. Quand j'ai des
opportunités qui me permettent d'avancer,
j'accepte d'emblée. Ensuite, c'est à moi de
me débrouiller avec moi-même. J'ai toujours
pensé que chacun et chacune d'entre nous a
de multiples possibilités et qu'on doit être
capable d'affronter l'inconnu. Ma première
émission était un Sacha show, où il y avait
Johnny Hallyday, Claude François, Eddy
Mitchell, Henri Salvador, Mireille Darc,
Françoise Hardy... C'était très
impressionnant, j'ai perdu cinq kilos dans
la semaine mais ils m'ont aidée. C'était
extra.
-Votre
caractère vous prédisposait-il à assumer de
telles responsabilités ?
- J'étais une forte
personnalité, et à mes débuts je voulais
m'imposer sans douceur. Je n'avais pas le
choix. J'étais une jeune femme, je venais
d'avoir un enfant et je me retrouvais sur
des plateaux de télévision à devoir gérer
une cinquantaine de techniciens, dont 80%
étaient des hommes. Quand on est âgée de 33
ans, pas vraiment moche et qu'on est le
patron, il faut affirmer son autorité et
surtout ne pas avoir d'hésitations.
« Tu as une responsabilité
d'homme », m'avait-on dit. Sur les 80% de
techniciens hommes, une moitié acceptait
d'être dirigée par une femme. Les autres,
non. Je suis donc très vite devenue
quelqu'un de dur, d'intransigeant, ne
supportant pas la contradiction, parce que
supporter la contradiction c'était se
remettre en question et pour moi cela
signifiait être faible ! Il m'est arrivé de
virer un cameraman sur le champ car il
refusait de faire un plan comme je le
souhaitais. J'avais à prouver à tous qui
j'étais, sans nuance.
« J'étais macho ! »
Si cette gente masculine et
même parfois féminine, s'était comportée
avec moi comme avec un réalisateur et non
une « réalisatrice », je pense que je
n'aurais pas été si dure. Mais la moindre
faiblesse de ma part aurait été imputée au
fait que « j'étais une bonne femme ».
J'étais obligée de m'affirmer
en permanence, sur tous les plans. D'être la
plus compétente dans tous les domaines :
choix du décor, de la lumière, travail avec
le chorégraphe, découpage des chansons, etc.
Aucune hésitation n'était permise. Quand on
est une femme, il faut être irréprochable.
J'étais devenue un véritable
macho. Autant avec les hommes qu'avec les
femmes. Peut-être parfois plus avec les
femmes. Parce que souvent les femmes,
malheureusement, se retrouvent en position
d'être commandées, de se plier aux ordres.
Elles croient ainsi jouer leur rôle de
femme... Voilà une attitude à changer
fondamentalement !
- Quand et
comment Marion « Macho » est-elle redevenue
Marion Sarraut ?
- J'ai arrêté les variétés en
1980 et j'ai commencé à faire de la fiction.
Travailler avec des acteurs est totalement
différent. J'ai alors commencé à changer.
Cela m'a obligée à faire un retour sur
moi-même. Un acteur est quelqu'un d'inquiet.
Il a besoin de douceur, de quelqu'un qui le
comprenne, le regarde, sache qui il est. Il
est en demande et attend qu'on prenne soin
de lui.
Contrairement au chanteur qui
amène sa chanson, l'acteur, lui, n'amène
rien, sauf lui. Il a été choisi, il a tout à
prouver. Pour être les meilleurs, nous
devons être mutuellement à l'écoute l'un de
l’autre, je te donne, tu me rends etc.,
comme un match de tennis. Et là on apprend
ce qu'est la direction de l'acteur, comment
le mener sur un fil d'équilibriste et
l'empêcher de tomber à gauche ou à droite.
Chaque acteur a son caractère, sa
spécificité, il doit jouer avec un autre
acteur qui lui aussi, à sa spécificité. Et
c'était à moi de faire régner l'harmonie.
Donc on se remet en question en permanence.
« Se permettre de ressentir
fragilité, douceur, féminité... »
Le réalisateur est tout
puissant. Il est le chef d'un orchestre qui
doit marcher à l'unisson. Cela implique de
grosses responsabilités. C'est pourquoi j'ai
dû apprendre à me débarrasser de
l'intolérance, du « supérioritisme »
inhérent à ma nature et j'ai entamé un
énorme virage vers une éthique du
comportement.
Le fait de savoir qui l'on
est donne une sécurité intérieure. On arrive
à se débarrasser de l'orgueil, de la
suffisance, d'une exigence qui ne sont pas
de mise. Pourquoi ? Par intérêt. Car c'est
l'intérêt du travail à plusieurs qui mène à
la réussite d'un projet en commun. L'intérêt
des individus avec qui on travaille : ils
sont heureux, moi aussi et ce tronc commun
peut faire des miracles !
Mes vraies qualités de femme
ont été mises en lumière. La partie
masculine a disparu pour laisser place à une
partie beaucoup plus féminine de la
personnalité qui est constituée de l'écoute,
de l'affection, de la tendresse, voire de
l'instinct maternel. Il est arrivé, il
arrive encore maintenant, que certains
acteurs avec lesquels je travaille
m'appellent par inadvertance « Maman... euh
pardon Marion ». C'est rassurant. Ça rend
plus fort car on est en accord avec
soi-même. On apprend le respect de l'autre,
l'envie de son bien-être et on peut alors se
permettre de ressentir fragilité, douceur,
féminité, de développer empathie et dignité
sans craindre que quelqu'un vienne vous
positionner comme une « bonne femme ». On
joue son rôle et c'est super gratifiant.
L'âge est important : à 73 ans j'ai enfin du
recul pour considérer les autres et ne plus
me considérer moi-même. Mais on peut y
arriver bien avant, rassurez-vous !
Nous les femmes, sommes des
cornes d'abondance. Nous emmagasinons des
expériences sur nous-mêmes, elles pénètrent
dans notre « substance » féminine, et petit
à petit nous affinons nos qualités. Nous
devenons vraiment nous-mêmes sans avoir
besoin de jouer un jeu pour s'imposer, sans
avoir besoin d'être ce que nous ne sommes
pas, en devenant un pôle rassurant pour les
autres.
'L'indépendance donne la
liberté'
- Comment se
traduit aujourd'hui votre engagement en
faveur des femmes ?
- Lorsqu'on a trente ans et
qu'on se bat pour les femmes, on se bat
surtout pour soi, pour son propre droit. On
veut s'imposer. Puis arrive la partie de vie
où on devient davantage la personne qu'on a
envie d'être. On lui donne d'autres formes,
plus altruistes, on a de moins en moins peur
d'être jugée. Mais cela demande un vrai
travail sur sa nature afin de se débarrasser
des vilaines scories machistes !
On n'est plus en force, mais
en évidence et en nécessité. On commence à
cerner les choses qui ne vont pas et qui
nous empêchent, nous les femmes, d'avancer à
juste « titre ».
J'ai pensé que je n'avais pas
le droit, avec ma petite notoriété de ne pas
dire et ne pas faire des choses qui doivent
être faites. C'est ainsi qu'un jour, à la
suite d'un entrefilet lu dans un journal, je
me suis réveillée avec l'idée de faire un
film sur un viol, mais de traiter le sujet
dans un milieu aisé. Car le viol est une
destruction de l'individu, peu importe où il
est perpétré, par qui et sur qui. Cela a
donné en 2009, le téléfilm « Un viol » sur
France 2 qui a très bien marché et a été
suivi d'un débat. Ce film poursuit sa
trajectoire et continue à jouer son rôle un
peu partout et surtout au sein des
organisations qui ont pris en charge les
droits des femmes.
Je suis à la recherche
d'autres projets, pour collaborer à cette
remise en place des femmes dans la société à
travers mon métier que je sais faire...en
réalisant des films.
- Que
souhaiteriez-vous voir changer ?
- Je souhaiterais qu'on aille
chercher les femmes compétentes là où elles
se trouvent pour les mettre à la lumière. Et
qu'on oblige celles qui sont en place, dont
c'est aussi le rôle, à faire ce travail. Ce
n'est malheureusement pas toujours le cas.
Il faudrait aussi se débarrasser de la
notion politique des nominations afin de
faire venir les gens pour leur talent et non
pour leur carnet d'adresses.
Je souhaiterais
l'installation d'une sorte de Comité de
Sages au sein du Ministère de la Culture où
les femmes seraient à parité. Elles auraient
un statut équivalent à celui des hommes pour
gérer les prises de position en matière
culturelle, à tous les niveaux.
- Quels conseils
donneriez-vous aux femmes artistes
aujourd'hui ?
- Aujourd'hui la parité
n'existe pas. Il faut le savoir. Donc si
vous voulez réussir, vous faire entendre,
soyez les meilleurs. Soyez irréprochables.
On vous oblige à l'excellence, alors soyez
excellentes. Mais dans la recherche de cette
excellence, vous trouverez des satisfactions
extraordinaires. Car finalement on ne
travaille plus pour la galerie, mais pour
soi, ce qui peut être utile à la communauté.
On s'aperçoit quel roc inébranlable on est
capable d'être.
Je leur conseillerais
également de se battre davantage... mais pas
entre elles. Les femmes peuvent être
redoutables face aux autres femmes. Elles
craignent, à l'égal des hommes, de perdre
leur pouvoir, de devoir composer avec un
égal.
Pour conclure, je dirais aux
femmes : N'ayez pas peur d'être ce que vous
êtes. Vous n'êtes pas des hommes mais vous
êtes aussi bien. Servez-vous des armes qui
sont les vôtres : intuition, compréhension
et empathie. Apprenez à vous connaître et ne
soyez pas dépendantes : ni d'une situation,
ni d'une vie professionnelle, ni d'un homme.
L'indépendance donne la liberté. Et
réciproquement.
source: Interview dans
Le site La vie en féminin
Le 10 décembre 2008 -
Livre d'Or
J'aimerais vous
dire quelques mots à propos de
cette interview ci-dessous
publiée sur le site "Tout pour
les femmes" en 2011.
J'ai toujours
voulu demander une interview à
ma chère amie
Dame Marion, mais lire cette
excellente interview par Michèle
Folian, et en même temps sur mon
site regarder les fantastiques
documents que Marion à
partager avec moi, il est
suffisant d'ajouter ici le
message que Dame Marion a écrit
dans mon Livre d'Or au tout
début du site en 2008. |
Le 25 février 2018
Linda, Webmaster